84 - DUQUESNE

DUQUESNE Rhum dit "doré" (élevé sous bois), 45°, Martinique. RECOLTE 1943. Bouchon à capsule métallique. Verre américain période prohibition (1920-1933). 70 cl. Si la notion de Graal dans le monde du rhum existe, nul doute que cette DUQUESNE tout droit sortie du tunnel du temps en est un superbe exemple. Son bouchon rare presque capsulaire épouse parfaitement un col resserré et élancé terminé par un corps trapu à l'effet compact. Signée sous la base, la bouteille nous précise son année de récolte, 1943, en pleine Seconde Guerre Mondiale. Et plus on l'observe, plus elle intrigue. Non, la forme n'est pas traditionnelle. Il ne s'agit pas d'un verre français, mais américain. Il comporte d'ailleurs une mention en relief et en anglais interdisant le réemploi. C'est ici que l'Histoire entre en jeu et que nous ajustons notre loupe tout en élargissant notre spectre de recherches. Comment expliquer la présence de ce verre étranger, alors que la Martinique se trouve en plein conflit et sous le coup d'un embargo avec toutes les difficultés d'approvisionnement que l'on devine ? Faute de témoin direct de l'Histoire, cette question débouche sur plusieurs hypothèses et ouvre la voie de l'imaginaire. S'agit-il de l'utilisation d'un verre américain hérité des années 1930, lors de la grande pénurie de verre au sortir de la crise de 1929 ? Ou doit-on croire à un approvisionnement provenant des Etats-Unis, jusqu'alors en vigueur jusqu'en 1942/1943 avant le blocus de l'île coupée de tout ravitaillement avec et par la France hexagonale ? Dans le premier comme dans le second cas, notre contenant en verre venu d'Amérique du nord nous ramène à l'époque de la prohibition sans aucune réserve. Il nous prouve aussi une chose certaine : l'embouteillage témoigne de la persistance de DUQUESNE à poursuivre jusqu'au bout sa production en dépit de tous les aléas de l'époque. Si un tel verre a été employé, cela traduit nécessairement le manque et les lacunes en termes de matériels inhérents au travail du rhum. Le rhum DUQUESNE ne disposait plus de sa bouteille identitaire. Il a donc fallu aux équipes de l'époque une certaine ingéniosité pour se procurer cette bouteille estampillée par l'Oncle Sam. Où donc ? Chez un grossiste encore en activité ? Dans les tréfonds des réserves de la distillerie ? Dans les mains d'un soldat américain de passage avec sa garnison ? Dans un bar foyalais fréquenté par une clientèle éclectique et lieu de plaisir discret ? C'est à ce stade que notre investigation s'essouffle... En affirmant la blondeur "dorée" de son rhum, DUQUESNE se réfère aux parcelles de sa canne : le lieu-dit Val d'Or, dans le sud de la Martinique. Peut-être faut-il aussi y voir une terminologie annonciatrice du rhum "ambré" ou "elevé sous bois", vocables adoptés par les producteurs bien plus tard. Sujet d'interrogations, de conversation et pourquoi pas de dissertation, cette fabuleuse DUQUESNE 1943 interpelle intensément, rendant son contenu chargé de mystères.